Guerre de Canudos

Guerre de Canudos
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Le 40e bataillon d'infanterie, originaire de Pará, à Canudos en 1897 (photo Flávio de Barros).
Informations générales
Date
Lieu Bahia, Brésil
Issue Victoire des troupes fédérales et destruction de Canudos
Belligérants
Drapeau du Brésil États-Unis du Brésil Drapeau du Brésil Canudos
Commandants
• Cpt. Virgílio Pereira de Almeida
• Lt. Pires Ferreira
• Mjr. Febrônio de Brito
Col. Antônio Moreira César
• Gen. Arthur Oscar de Andrade Guimarães
Antônio Conselheiro
Forces en présence
12 000 soldats ~ 20 000 à 35 000 habitants
Pertes
~ 5 000 morts ~ 20 000 morts (combattants et civils)

Coordonnées 9° 57′ 50″ sud, 39° 09′ 50″ ouest
Géolocalisation sur la carte : Brésil
(Voir situation sur carte : Brésil)
Guerre de Canudos

La guerre de Canudos ou campagne de Canudos est un conflit armé survenu à la fin du XIXe siècle entre, d’une part, les troupes régulières de l'État de Bahia d’abord, de la république du Brésil ensuite, et d’autre part, un groupe de quelque 30 000 colons établis en communauté autonome dans un village fondé par eux dans le nord-est de Bahia près de l’ancienne ferme de Canudos, et rebaptisé Belo Monte.

Le fondateur de ladite communauté, Antônio Conselheiro, prophète millénariste ambulant, prêchait une morale d’abstinence et considérait la République tout juste proclamée comme création du Diable ; après un quart de siècle d’errance et de prédication dans les sertões du Nordeste brésilien, au cours desquels il acquit un grand prestige et fit de nombreux adeptes, il entra en rébellion ouverte et violente contre les autorités républicaines, et fut dès lors contraint de se sédentariser dans un lieu des plus écartés, entraînant avec lui ses disciples. La nouvelle colonie, composée d’habitations de fortune, connut une expansion rapide et compta bientôt plusieurs dizaines de milliers d’habitants ; sorte de théocratie, organisée autour de rites singuliers et, dans une certaine mesure, selon le principe collectiviste, la communauté vivait de son propre travail, — mettant en culture la fertile plaine alentour, vendant des peaux de chèvre, ou prêtant sa force de travail aux fermes environnantes —, mais aussi de dons offerts par la population sertanejo, admiratrice du prophète. Loin de fonctionner en vase clos, la colonie autorisait les allées et venues et s’interdisait nullement d’entretenir des relations commerciales et autres avec les villages et hameaux circonvoisins. S’y retrouvaient toutes les composantes sociales et anthropologiques de la population du sertão (avec certes une surreprésentation de noirs, dont nombre d’esclaves affranchis et anciens nègres marrons) et toutes les classes d’âge, y inclus de jeunes personnes blanches issues de familles respectées du littoral.

Les soupçons de conspiration monarchiste qui pesaient sur Canudos, et la menace que la communauté faisait planer sur la pérennité du système socio-politico-économique local du fait en particulier de l’exode massif de main-d’œuvre hors des grands domaines agricoles de la région (bien davantage que la supposée nuisance que représentaient les jagunços, éléments armés de la communauté, accusés à tort de vols de bétail et de déprédations), portèrent le pouvoir politique à intervenir militairement. Qu’il ne fallut pas moins de quatre expéditions pour venir à bout des Canudenses s’explique par un ensemble d’erreurs tactiques et stratégiques commises à répétition par les forces régulières : méconnaissance du terrain, sous-estimation de l’adversaire, structure de commandement rigide, organisation militaire et matériel de guerre conçus pour une bataille rangée classique et donc totalement inadaptés, et surtout logistique d’approvisionnement défaillante sinon absente ; en face, les agiles jagunços, parfaitement acclimatés à la caatingamaquis aride, aux conditions climatiques extrêmes —, pratiquant une épuisante guerre de harcèlement, faite d’embuscades et d’attaques-surprise, se dérobant sans cesse, et sachant tirer parti avec souplesse de leur vaste réseau de tranchées-abris. En particulier, la 3e expédition, lancée en , tourna à la catastrophe : si les deux corps expéditionnaires précédents durent rebrousser chemin avant d’atteindre Canudos, cette 3e expédition risqua une offensive contre le village, lors de laquelle les formations de combat, diluées et désorganisées dans le dédale des venelles, durent affronter une âpre guérilla urbaine et furent massacrées. Dans la débandade qui s’ensuivit, l’armée abandonna aux jagunços un riche butin d’armes automatiques modernes et de munitions en abondance. La 4e expédition enfin, qui mobilisa près de 10 000 hommes, finit, à l’issue d’un pénible siège de plusieurs mois et après avoir pilonné le village à l’artillerie lourde, par s’emparer du village, en dépit d’une résistance farouche occasionnant de grandes pertes côté gouvernemental. Les Canudenses, dont quasiment aucun ne consentit à se rendre, furent presque tous tués, soit au combat, soit par des exécutions sommaires, et leur village totalement anéanti.

Si Canudos, surtout après l’échec de la deuxième expédition, fut abusivement interprété comme pilier d’une ample conspiration monarchiste bénéficiant de soutiens à l’étranger, c’est par la suite une autre version, portée par les élites brésiliennes eurotropes et positivistes du littoral, et guère plus exacte que la précédente, qui prévalut : celle d’un groupe de campagnards arriérés et superstitieux, accablés d’un lourd atavisme racial et culturel, qu’un illuminé déviant, fanatique et intraitable réussit à empaumer et à entraîner avec lui dans une expérience irrationnelle et extrême. Des recherches historiques ultérieures ont cependant mis à mal cette vision biaisée et démontré que, même si les motivations religieuses furent importantes, le départ pour Canudos a pu représenter pour des gens traumatisés par les privations, par les bouleversements politiques récents, et par les vicissitudes de la sécheresse, des querelles de clan et de la précarité économique, une décision rationnelle et pragmatique, dont ils escomptaient qu’elle leur apporterait sûreté et stabilité dans un périmètre sécurisé et régulé, moyennant l’observance de préceptes religieux et moraux stricts ; du reste, Conselheiro ne s’écarta pas de l’orthodoxie catholique et garda en général de bons rapports avec le clergé local.

Cet épisode violent de l’histoire brésilienne, qui vit périr entre 15 000 et 30 000 personnes, et fut par la suite diversement interprété, fera la matière de plusieurs créations littéraires, dont on relèvera plus particulièrement Os Sertões (trad. fr. Hautes Terres), d’Euclides da Cunha, l’un des maîtres-livres de la littérature brésilienne, et la Guerre de la fin du monde, roman à succès de Mario Vargas Llosa.

« Le plus grand scandale de notre histoire. »

— Euclides da Cunha[1].

  1. Da Cunha 1993, p. 517.

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